EVANGILE SELON UN RATE.
Toi.
L'esprit chevelu.
Laisse mes racines glisser au fond de tes entrailles. Ouvre-moi les yeux sur ce monde. Écrase l'ombilic qui me dévore l'intérieur. Guide-Moi. Laisse ta sève couler sur mes paupières. Arrache-moi le calcaire du temps. Referme l'œil globuleux de mes souvenirs. Montre-moi ton visage d'écorce, ton sourire farceur. Fais-moi devenir Autre,végétal, noueux, sauvage et solaire.
J'ouvre les yeux.
Tu es là.
"On se fait grave chier n'empêche", dit Pierrot en crachant un nuage de fumée couleur blues.
"Ouai", dis-je, le dos contre le tronc, " Tu peux passer le joint s'te plaît."
Il me file le joint et je tire dessus de toute mes forces, à me faire péter les poumons.
"Le pire dans tout ça, rajoute Paulo, c'est qu'y a toujours pas une fille à l'horizon, et qu'on est encore entre mecs à se tremper la nouille, autour de ce putain de séquoia...."
"Comme d'hab quoi",commente Patou.
"Et puis j'ai pas encore ouvert les vannes de l'humour, donc tout va bien..." fais-je, entre deux cumulo-nimbus.
"C'est nul Pierre", dit Pierrot.
"Trop con", fait Paulo.
"Va te pendre", marmonne Patou.
"Bon, je vous l'accorde, elle était nulle."
Pierrot rigole. Je passe le joint à Paulo, qui refuse poliment. Je lui râle dessus, poliment, et je fais tourner le zbiff en direction des autres.
Nous somme tout les quatre adossé au tronc d'un énorme séquoia. Un monstre sur racine qui pourrait concurrencer les Tours Jumelles maintenant qu'elles sont dans le bitume new-yorkais. Son écorce ressemble à du biscuit à la cannelle. Elle grimpe vers le ciel et explose en un milliers de branches sombres. Un mastodonte, vous dis-je. Un mastodonte exilé. Parce que les séquoia ne poussent pas en France, mais en Amérique. Qui a bien pût avoir l'idée de ramener cette énergumène au beau milieu de ce parc? Sur une terre inconnue, placé entre le square et la promenade des vieux, pissotière pour clèbs et repose-nuque pour les branleurs dans notre genre? Je le plains ce séquoia. Vraiment.
"Et vous savez pourquoi les suédois laissent dépasser le cul des morts dans les cimetières?" fais Pierrot.
"Putain, tu nous la répète à chaque fois Pierrot. C'est relou à la fin..."
"Z'avez qu'à faire mieux..."
Je réfléchis et je dis:
"C'est l'histoire d'un schtroumpf..."
Patou me stoppe dans mon élan:
" Mais ta gueule...."
"Quoi?"
"Ta-gu-eul-eux! Ou sinon je vais réveiller l'épicerie d'à côté, je lui achète 10 mètres
de cordes, et on te pends haut et court sur une branche du séquoia. Et ensuite on te prends en photo et on l'envoi à l'association des Humoristes Créateurs de blague-Carambar pour qu'ils comprennent une fois pour toute qu'ils doivent arrêter leurs attentats verbaux!!!"
On éclate tous de rire. C'est un bon Patou. Clair et net.
"Qu'est-ce que tu fais Paulo? T'écris ton testament?"
Il est penché au-dessus d'un carnet et il cribouille des hiéroglyphes du Troisième âge avec application.
"J'écris un poème", répond-t-il, sans lâcher des yeux son carnet.
"Tu devrais..." commence Pierrot, qui aspire à ce moment là une énorme taff et fait rougeoyer du tonnerre l'extrémité du joint...."Tu devrais fumer un peu avec nous alors, ça te donnerait de l'inspiration..."
"Non merci. Mon cerveau est en pleine révolution anarchique. Pas besoin de vos remèdes de grand-mère jamaïcaines pour aligner deux mots."
Patou prends le relai du joint. Il a les genoux plié en mode chauve-souris, les cheveux en barouf et le nez en avant comme une clochette. Il tire une petite taff et regarde le ciel. Il y a plein d'étoiles ce soir. C'est cool.
"Et sinon, qu'est-ce que ça donne avec Joanne?" me demande Pierrot, en jouant une aiguille de séquoia.
"Ah, Joanne. Bin elle a un mec en fait..."
"Ah...." Il laisse un silence. "Et alors?"
"Quoi, et alors?"
"Bin, où est le problème?"
"Bin, il est de taille le problème, nan?"
"Pas du tout! Tu fais sauter la Ferrari
du Don Juan, tu enfourches la blonde et le tour est joué! Y a pas à tergiverser.... - ça se dit tergiverser-?"
"Elle est rousse, Pierrot, rousse. Et oui, je crois que ça se dit tergiverser.... Et je crois pas qu'elle ait envie de larguer son Roméo"
"Ok. Admettons."
"C'est la merde quoi. Je suis triste. Un truc à te foutre le cafard pendant 20 ans. "
"Tu laisses tomber si je comprends bien"
"Bin oui. Qu'est-ce tu veux que je foute?! Mes sentiments!!! A la poubelle! Hop! Direct chez le croque-mort. Je vais pas m'emmerder à les soigner, à les recoudre 4000 fois, mes foutus sentiments. Trop marre."
"Dommage."
Pierrot me laisse dans mes élucubrations amoureuses et retourne à son aiguille. Nous sommes au beau milieu d'un parc municipal et il n'y a pas de clodos à 100 mètres
. On se fond parfaitement dans la nuit. Y a juste les lunettes de Paulo qui brillent un peu, mais c'est tout. C'est un calme reposant, qui te vide l'intérieur, qui t'aspire le poids du corps.
A la fin du pétard, il y a assez de fumée autour de nous pour que même le séquoia soit défonce. J'en suis sûr. Je parie même avec Pierrot un verre de whisky. Au final, on se lève, on se frotte le cul et on disparait dans le noir-pétrole du parc.
Les bras en croix. Je sens mes blessures se refermer. L'herbe glisse. Elle sent la terre et la rosée. Du vent m'éclabousse les joues. C'est frais et c'est vrai. Mes larmes de givres se cristallisent au fond du puits de mon âme, là même où tu recueilleras les pièces de monnaie de ma déchéance. Le Faune, avec sa barbiche et son bâton de mage, a déposé une clef en or au creux de ma main. Alors après une gorgée de soleil, je suis venu jusqu'aux portes de ton royaume. Le séquoia ancestral. J'ai toqué à ta porte et les fées gardiennes sont descendues, comme de la pluie. Elles souriaient sous les délices de leurs cheveux. J'ai grimpé les marches de bois, puis j'ai traversé l'arche. Je n'avais plus peur. Les branches poussaient dans tous les sens. Des petites maisonnettes se tenaient là, doucement éclairés par des lucioles. De leurs voix enchantées, elles me pressèrent d'ouvrir la porte. Une poussière bleue s'échappa de la fente. Les yeux me dirent "Au revoir" et je plongea dans le tronc.
On avance dans la rue, huileuse et orangeâtre, comme les droogies dans L'Orange Méchanique. Nos ombres se découpent au rasoir sur la route. On joue aux ombres chinoises.Y a Pierrot qui fait le clown, moi le Croque-mort, Patou le loup-garou grincheux et Paulo, l'ange timide et déchu, plongé dans le tréfonds de ses rêveries. On est prêt à rentrer dans les baraques, à faire le carnage de l'année, à tout cramer, à flinguer les gosses, les perruches, l'hamster et le chat, à noyer les vieux dans une bassine rempli avec nos propres pisses. Encore une idée de Patou ça. Il est tordu parfois Patou, je vous l'avais dit. Mais bon, c'est mon pote. Et mes potes, je les aime diaboliquement.
La sonnerie actionnée par la porte du "Jim's", fait "Cling, Cling, Clong" quand on pénètre à l'intérieur du bar. C'est pas l'ambiance de folie. Deux kékés dans un coin, un tout seul sur une table et encore un sur le comptoir, qui regarde ses pièces de monnaies, comme les décombres de sa vie de merde.
"Salut les évangélistes!"que nous fait le barman," Qu'est-ce j'vous sert?"
"4 Bières, Jésus!"
Chacun devant sa brune, mousseuse à souhait, on se jette des regards comme avant un duel. D'un coup, Hop, on lève tous nos verre et on les vide cul-sec.
"Aaaaaah..." fait Pierrot, "Cette bière est divine. C'est carrément érotique. Je serais prêt à donner un poil de mon torse pour faire l'amour."
"T'as pas de poil au torse," fait Paulo, qui a lâché son carnet depuis notre arrivée au "Jim's". " Et personne voudrait coucher avec toi pour un poil..."
"Qu'est-ce t'en sais?"
"Oh, chépa, une intuition", ricoche-t- il en se marrant.
On commande une deuxième tourné. 4 Fischer pression. Y a " I can't buy me love" des Beatles qui passe à la sono. Vient ensuite les Sex Pistols, le Warsaw des Joy, Frank Sinatra et son voyage sur la lune, Nick Cave et ses ballades meurtières, Cat Power et sa voix à te fondre le squelette et encore d'autres trucs. Patou joue avec son support cartonné pour bière.
"On voudrait des sous...." se met à chanter Pierrot.
"Oh non, pas ça! Tout sauf Patrick Sébastien" ronchonne Paulo.
"Quoi? Tu renies tes origines? Tu ne vois pas que Saint Patrick est le dernier rempart contre l'intellectualisme ambiant? Qu'il est l'annonciateur tant attendu de l'Apocalypse?"
"C'est clair que pour jouer l'Antéchrist, il est parfait. Faudrait encore...."
On veut débattre sérieusement sur Patrick Sébastien, quand un type nous accoste et nous demande du fric.
"Pas une p'tite pièce siou plait?"
On se regarde. On fait genre qu'on a rien, comme à chaque fois. Le type reste planté devant notre table. Je bois une gorgé en regardant le plafond. Patou continue à jouer. Paulo et Pierrot hausse les épaules pour dire qu'ils n'ont vraiment que dalle.
"Mais vous avez pas un peu de monnaie avec vos bières? Nan?"
Un silence pose ses fesses. Soit il se barre, soit ça explose. C'est quitte au double.
"Jarte de là mec", grogne Patou. Il ne lâche pas des yeux son bout de carton.
"Pardon?" fait le type.
Nous autre, on sait pas où se foutre.
"T'as très bien entendu",dit Patou.
Paulo se met à stresser. Il stresse toujours quand quelque chose ne met à beuger. Pierrot et moi, on ne bronche pas.
"D'où tu te la pètes toi? C'est parce que t'as le cul bien au chaud que tu la joues au dur? Ta maman et ton papa t'on filé combien ce soir? Hein? Tu veux que j'te crève au couteau, c'est ça que tu veux?
Patou ne l'a toujours pas regarder. Un kéké se retourne dans notre direction. Le type devant nous met sa main dans sa poche et se rapproche de la table.
"Petit merdeux va, j't'enc.."
Patou lui embroche la chemise d'une main, son verre à bière, dans l'autre.
"Qu'est-ce qu'il a le clodo? Hein? Il est pas content?" dit-il entre ses mâchoires.
Sur le coup, j'essaie de m'intercaler entre les deux pittbulls, mais pas moyen de les séparer. Ils se regardent avec tellement force, je vous jure, ça donnerait mal aux yeux. Paulo transpire du front, et des mots essaient de sortir de sa bouche. Au moment où Patou et le type allaient se cogner pour de bon, un serveur apparaît. Il vire le type en le chopant à la nuque et nous demande de se calmer. Un flot d'insulte craché, le type disparait enfin. J'ai honte. Y avait de la tristesse dans son regard.
Après cette épisode, y a eut comme un blanc. Genre blanc blanc, couleur désert de Gobi. Pour la peine, on se mange chacun un œuf dur. On enlève les coquilles en silence, Ella Fitzgerald en arrière fond sonore. C'est le moment tragique de l'ouverture des oeufs. Pierrot retente sa chanson de Patrick Sébastien, et on se fends la gueule, nerveusement. On essaie de changer de sujet. Je parle du séquoia dans le parc. Je nous auto-proclame "Les Séquoiamens". Les branleurs du coin, responsable des petites annonces sur bois. Vous savez, Les "Gaspards je t'aim", les "666", les "LOL", les "Nique la police", les numéros pour une pipe, les tags, les "Babou ma super friend", les " Vive la France
", les " Faites l'amour, pas la guerre, acheter des capotes, et pas des bombres nucléaires", et bin tout ça , gravé dans l'écorce, c'est notre domaine!
On a payé et on s'est arraché.
J'ai traversé le voile de satin qui séparait l'envers du miroir. Là, des réseaux de ficelles arachnéennes se tissaient devant moi. Les mains en avant, j'écarta le rideau. Il y avait des nuages immenses, des sirènes dans la mer du ciel. Ton visage m'apparut. Comme un songe hanté. Moi, j'avais envie de te fuir et en même temps de me coller à tes seins. C'était horrible. J'aurais voulu pouvoir passer devant toi, et ne plus te dévorer que du regard. C'est décidé, je ne te ferais plus de mal. Je boirais l'alcool de ton souvenir, et je me soulerais pour oublier. J'accrocherais mes rêves dans un abattoir, et je te laisserais briller, là où les anges sont aveugles et noirs.
Au coin d'une rue, une nana nous a arrêté pour nous vendre du Subutex.
"Du quoi?" ais-je demandé.
"Du Subutex.
"Nan, mais c'est quoi le Subutex?"
"Un substitut à l'héro", avait-elle répondu, avec son faciès de momie.
Nous, à part chanté par Lou Reed, on s'en foutait de l'héroïne. On l'avait donc remercié et on avait continué notre périple dans les intestins de la ville. On allait bientôt arriver à la fin, et là, on se faisait de nouveau chier. Qu'est-ce qu'on foutait là? Où on allait? Qu'est-ce qu'on ferait de notre vie dans un futur proche? On n'en savait rien. On marchait. On se limitait à ça. C'était déjà pas mal. Paulo était complètement fracasse. Il nous parlait de sa grand-mère, de Youtube, et de sa sois-disant descendance vampire. Aller chercher le rapport.
Sur un trottoir, on a croisé des putes. Au début, je les avais pas calé. Je croyais qu'elles attendaient quelqu'un. Elles devaient pointé là depuis quelques heures apparemment. Des blacks, des ukrainiennes, des hongroises, des paumés. Des machines en tout genre. Des vies à vomir. L'une d'elle m'a chopé par le bras, comme pour m'inviter. Moi, j'ai continué de marcher en suivant les évangélistes, comme si de rien était. Je me suis senti mal. J'avais envie de me planquer. Cette vérité me hurlait silencieusement à la gueule et j'arrivais pas à me boucher les tympans. Je m'imaginais dans sa chambre. Elle, en train de se déshabiller, comme un automate. Moi, avançant. Et elle, le visage déjà mort, qui attendait, les jambes écartés. J'avais envie de tout dégoupiller dans le caniveau. Heureusement que Patou m'a rattrapé.
Pierrot a dit salut à un type complètement arrache, qui avançait, soutenu par deux potes, un à chaque épaule, comme des entraineurs autour de leurs champion de boxe K.O. Patou a appuyé à toutes les sonnettes d'un immeuble. On a alors piqué un sprint tout les quatre, en se tordant de rire. Chépas si vous avez déjà essayer, mais c'est super chaud. Après une réflexion intense, je me suis dit, qu'à nous quatre, on formait un beau quatuor de bancales. Et pour ne pas tomber, on s’épaulait. Et donc on trouvait une espèce d'équilibre. C'est surement le truc qu'on appelle amitié.
Au bout de 20 minutes, les berges de la Meuse
apparurent. Il faisait super sombre. Chacun tâtonnait à la recherche de l'embarcadère. On s'est alors arrêté, tout les quatre, face au grand lit noir de l'eau. De petits reflets blancs ondulaient à la surface. On entendait plus que quelques voitures au loin, et le murmure tout doux du fleuve. J'ai respiré profondément. J'avais envie de pisser. J'ai mis de la suite dans mes idées dans un buisson, et en revenant, j'ai vu Patou qui se déshabillait.
"Qu'est-ce que tu fous Jean-Marcel?"
"Je vais me baigner" lâcha-t-il entre deux chaussettes." Tu viens?"
"Et comment qu'je viens!"
Patou, Pierrot et moi, grelotant comme des fous, on se tenait sur le rebords. On s'est regardé en souriant et puis on a sauté. Un coup électrique supra violent m'a pourfendu l'échine, quand je suis passé sous l'eau. Waouwoua.....J'ai bien cru que j'allais m'éclater le cœur. On s'est mis tout les 3 à faire la planche, comme des naufragés. La bouche en mode locomotive à vapeur, on se laissait porter, les yeux grands ouverts, dans un petit moment d'éternité. Le genre de moment que tu protèges au fond d'ton cerveau plus tard, pour pouvoir le sortir du fond de ta mémoires quand tu croupiras au fond d'un fauteuil à 70 balais. Pour pouvoir te rappeler du bon temps. Si t'as pas eu Alhzeimer entre temps. Bien sûr.
Pierrot jouait à la baleine blanche et Patou avait pris le large.
"Et vous savez pourquoi les suédois laissent dépasser le cul des morts?" a gueulé Pierrot.
"Tu vas me le dire, j'attends que ça."
"Bin, comme y a trop de vélo en Suèdes, faut bien trouver un moyen pour tous les garer? Et le cul d'un mort c'est parfait comme garage à vélo!"
L'eau était froide. C'était marrant. On a regardé Paulo, qui était tout seul sur l'embarcadère, à écrire dans son carnet. On s'est fait un clin d'œil avec Pierrot, et on est sorti pour prendre le spécimen et le balancer dans l'eau. Il eut une grimace de surprise sur le coup, mais il n'eut pas le temps d'avoir autre chose.
"Je ne sais pas na...." hurla-t-il, à demi-mot.
Il s'enfonça comme une brique et émergea de l'eau comme un bouchon de liège. Au début, c'était marrant de le voir se démener. Mais au moment où il a commencé à beugler, on s'est remis à l'eau et on a tenté de le ramener à terre. Pierrot est allé le prendre à l'épaule de droite, et moi à celle de gauche. Mais avec le froid et l'alcool, on s'était engourdis, et on arrivait seulement à le maintenir. Paulo lançait des regards perdus. Il respirait déjà plus facilement, mais il sombrait sous l'eau dès qu'on le lâchait. Heureusement, Patou est venu en renfort, et on poussé Paulo sur l'embarcadère. On lui a foutu la seule serviette qu'on avait sur son dos et on a l'a frotté de toute nos force. Le noyé cherchait de ses mains tremblantes son téléphone portable.
"Ne l'allumes pas. T'auras qu'à le faire sécher, et il remarchera" dis-je, "Tiens, ton carnet".
Il s'est levé pour aller vomir. Puis il est revenu, en titubant.
"Bande de con", qu'il a dit.
La lune s'était levé au-dessus de l'auto-route et du plan d'eau. Toute pimpante, elle illuminait l'embarcadère sur lequelle nous étions assis tout les quatre. Plus haut encore, des glaçons d'étoiles barbotaient dans un bain de vodka noire. Tranquilles et peinardes. On souffla un bon coup. Pierrot a dit alors " Foutre", moi j'ai roté, Paulo a dit " Putain de merde, fait chier quoi..." et Patou a rien dit.
C'était cool.
Après le gouffre blanc des nuages, je vis se dresser devant moi le vieux château, tout de lierre vêtu. Des épées de lumière traversaient les prairies célestes et venaient pourfendre les pierres du chemin de garde. Le chevalier m'attendait. Il enleva son heaume et me lança vers l'avenir. Sur la table, dans l'obscurité, il y avait les cendres de la sagesse, et quelques plumes de phénix. J'en pris une, je le remercia, et je tomba dans les nébuleuses.
Je suis dans l'immense forêt des séquoias. Pleine de silence et de chants. Je pose un pied sur le tapis des âges. Un ruisseau murmure au loin. Le bruissement des branches sous le vent. La magie dans l'air de la nuit. Les grincements des troncs. Le calme intérieur.
ANTOINE DELAHAYE